Economie collaborative - nouvel épisode à rebondissements
07 December 2017
La Cour d’Appel de Paris écarte l’application du droit du travail
Le contrat de travail se définit comme une convention par laquelle une personne s’engage à travailler pour le compte d’une autre moyennant rémunération et sous sa subordination. La subordination se caractérise, selon la Cour de cassation, par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur, qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. Appliquée à l’économie collaborative, cette définition du lien de subordination, qui caractérise le contrat de travail, est source d’incertitudes. La frontière entre contrat de travail et contrat de prestation de services est parfois floue.
L’enjeu pour le donneur d’ordres, plateforme numérique, est de satisfaire, d’une part, les besoins en flexibilité de ses clients et, d’autre part, de restreindre les charges sociales pour accroître sa rentabilité. Pour le prestataire de services, généralement un particulier, l’intérêt est de n’avoir aucun lien hiérarchique avec l’entreprise donneuse d’ordres. Il jouit d’une certaine liberté dans l’organisation de son temps de travail et peut cumuler plusieurs emplois en même temps.
L’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 9 novembre dernier est, concernant la société Deliveroo, inédit. La Cour a jugé que le coursier « manque à rapporter la preuve qu’il fournissait des prestations à la société DELIVEROO France dans des conditions le plaçant dans un lien de subordination à l’égard de celle-ci, et spécialement dans un lien de subordination juridique permanent. ». Appréciant les faits de l’espèce de manière très concrète, la Cour a retenu un faisceau d’indices pour reconnaître le statut de travailleur indépendant d’un coursier de la société Deliveroo :
- L’organisation libre de son travail : la Cour met en exergue que le coursier pouvait déterminer librement ses jours, plages horaires d’activité, sa durée du travail et ses zones d’intervention.
- La liberté de travailler ou non : la Cour souligne qu’il était libre de refuser de travailler sans être sanctionné et qu’il pouvait également travailler pour d’autres sociétés.
- La liberté de choix et d’utilisation du matériel : la Cour relève, à cet égard, que le coursier utilisait son propre vélo et avait la liberté de pouvoir utiliser, s’il en était détenteur, un véhicule à deux-roues motorisé et son smartphone pour effectuer les courses, par ailleurs, qu’il avait à sa disposition contre caution de 100 euros prélevée par la société Deliveroo un sac isotherme, une batterie externe pour le rechargement de son smartphone, l’application de la société et des vêtements au nom de cette dernière et qu’il était libre de porter ou non la tenue vestimentaire estampillée Deliveroo.
- La liberté de pouvoir choisir son propre itinéraire : la Cour retient qu’aucun itinéraire ne lui était imposé et qu’il avait seulement la possibilité de suivre l’itinéraire suggéré par l’application.
- La non intégration à une équipe de travail structurée : le coursier pouvait librement participer à quelque réunion, formation ou événement que ce soit sans être incité ou contraint par la société d’intégrer un service organisé.
Après une série d’arrêts sur l’économie collaborative où les juridictions françaises comme européennes ont procédé à une requalification en contrat de travail, cet arrêt semble heureusement remettre les pendules à l’heure. En effet, cette décision s’inscrit dans la lignée de la loi du 8 août 2016 intégrée au Code du travail sous les articles L. 7341-1 et suivants dédiés aux travailleurs indépendants recourant pour l’exercice de leur activité professionnelle à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique et du jugement rendu le 14 novembre dernier outre-Manche par le Comité central d’arbitrage de Londres (équivalent du Conseil de prud’hommes), qui avait reconnu le statut de travailleur indépendant de plusieurs coursiers de la société Deliveroo.
Affaire à suivre… puisque la Cour d’appel a renvoyé l’affaire devant le Tribunal de commerce pour un jugement au fond. Le travailleur indépendant pourra néanmoins, s’il le souhaite, contester la décision de la Cour d’appel et se pourvoir en cassation pour contester la compétence matérielle du Tribunal de commerce.
Article rédigé par Claire Abate – Avocat à la Cour – AC Legal Avocat